Voilà Rouletabille envoyé par l'Epoque en reportage en Russie. Officiellement, du moins, car en réalité, le tsar a besoin de lui pour veiller à la sécurité de l'un de ses officiers les plus dévoués, le général Trébassof. Celui-ci, condamné à mort par le Comité Révolutionnaire pour avoir mené la répression contre les étudiants des barricades lors de la Semaine Rouge a déjà été victime de plusieurs attentats, tous déjoués par son épouse dévouée, la courageuse Matrena Petrovna. Rouletabille, menacé lui aussi de mort par les nihilistes, devra plus que jamais faire confiance aux bosses de son front pour démasquer ceux qui en veulent à la vie du général Trébassof.
Une petite ambiguïté chronologique, qui me turlupine beaucoup pour commencer. La logique voudrait que Rouletabille chez le Tsar fasse suite immédiate au Parfum de la Dame en Noir, soit en 1895, puisque le départ immédiat du reporter y est annoncé. Or il semble plutôt que le roman s'appuie sur des faits survenus dix ans plus tard, en 1905, lors de la première révolution Russe, Leroux lui-même se trouvant en Russie au moment des évènements. Ce détail m'a laissé un peu perplexe, je l'avoue. Il reste à supposer que Leroux n'y a pas accordé d'importance ou a un peu trituré la chronologie, ce qui n'est pas gênant ici, car l'arrière-plan historique, s'il sert à donner une couleur réaliste au récit, n'est en réalité pas primordial pour l'intrigue. Peut-être ce flottement chronologique permet-il aussi à l'auteur de se détacher de la réalité historique pour jouer avec les stéréotypes liés à la Russie dans l'imaginaire français de l'époque.
On retrouve ici, après l'épisode plus sombre du Parfum de la Dame en Noir, le Rouletabille de la Chambre Jaune, vif, primesautier, un peu brusque mais méthodique. A la narration à la première personne de Sainclair succède ainsi un narrateur à la troisième personne, qui si elle nous laisse parfois entrevoir l'intériorité du personnage de Rouletabille, ne nous le rend pas moins hermétique que ne le faisait la vision de Sainclair. Si Rouletabille devine des choses, il ne nous en est pas toujours fait part, et les extraits de son carnet qui nous sont parfois proposés restent très sibyllins, d'autant que pour une raison qui ne nous est pas immédiatement dévoilée, ils disparaissent assez rapidement. Mais cette opacité de la pensée sur jeune reporter loin de faire baisser l'intérêt, l'éveille au contraire de façon très efficace.
Les traits des personnages sont, apparemment à dessein, assez forcés: le dévouement aveugle et héroïque de Matrena, le caractère enjoué, amical, très « papa gâteau » selon les propres dires du narrateur, du général Trébassof, qui est malgré tout comparé plus d'une fois à Ivan le Terrible... Le parti pris de Leroux, et de Rouletabille, est celui d'une relative neutralité, l'auteur dressant des acteurs de la répression un portrait très humain ,les montrant comme accomplissant à contrecoeur le devoir dicté par leur loyauté au tsar. Ce parti pris donne lieu parfois à des choix de narration surprenants, au vu du ton badin adopté pour évoquer certains évènements des plus sanglants et des plus terribles, mis en regard de passages d'horreur pure, au style plus haché, au ton pathétique ou des moments d'apaisement frôlant le lyrisme. Un terme, un seul revient régulièrement et résume à lui seul l'attitude générale face aux évènements terribles qui se multiplient: Nitchevô (cela ne fait rien!). Tout cela nous installe dans une ambiance qui oscille entre une légèreté sciemment dérangeante et une parfaite horreur (et j'avoue avoir eu en lisant ce livre une des plus grandes frayeurs de ma vie.)
Les personnages eux mêmes (ou la plupart d'entre eux), malgré ces traits forcés nous sont réellement sympathiques: On s'attache comme Rouletabille au joyeux général Trébassof et à ses amis, en apparence tellement insouciants qu'ils n'en deviennent même pas héroïques mais simplement humains, et même humains de bonne compagnie. D'autres personnages sont réellement charismatique, telle la ténébreuse Annouchka, à la fois proprement fascinante et tout à fait inquiétante. D'autres simplement énigmatiques, à commencer par Natacha Trébassof, ou d'autres parfaitement répugnants comme le chef de la police secrète Gounsovski. Mais à aucun moment l'avantage n'est donné à un parti ou à l'autre et l'on a avant tout affaire à un drame familial, qui semble donner à Rouletabille plus de fil à retordre qu'auparavant, d'autant que la désinvolture du jeune homme vis à vis des deux partis, si elle apporte une fraîcheur certaine à l'intrigue, le place dans une situation qui finira peu à peu par se faire de plus en plus délicate.
Deux petits extraits, encore, pour finir (devant mon incapacité à me décider pour l'un ou pour l'autre, je mets les deux ^^):
« Affaire de digestion vous dis-je! Quel est le fou qui oserait comparer un jeune monsieur qui a bien digéré une bouteille de champagne ou deux, et un autre jeune monsieur qui a mal digéré les élucubrations – nous disons: élucubrations – des économistes? Les économistes? Les économistes! des fous qui se défient à qui en dira de plus fortes! Ceux qui les lisent et ne les comprennent pas s'en tirent avec une bombe! A votre santé! Nitchevô! comme dit l'autre... La Terre tourne, n'est-ce pas? »
« Ah, ces histoires de concierges et de bombes vivantes!... Ces potins, ces racontars susurrés dans ce décor de petits bourgeois de province, ces combinaisons politico-policières dont seul le côté grotesque apparaissait tandis que le côté terrible, le côté Sibérie, prison, cachots, pendaison, disparition, bagne, exil et mort et martyre, restait si jalousement caché qu'on n'en parlait jamais! Tout cela, tout cela était le comble de l'horreur entre un bon cigare et ''un petit verre d'anisette monsieur si vous ne prenez pas de champagne!'' »
On retrouve ici, après l'épisode plus sombre du Parfum de la Dame en Noir, le Rouletabille de la Chambre Jaune, vif, primesautier, un peu brusque mais méthodique. A la narration à la première personne de Sainclair succède ainsi un narrateur à la troisième personne, qui si elle nous laisse parfois entrevoir l'intériorité du personnage de Rouletabille, ne nous le rend pas moins hermétique que ne le faisait la vision de Sainclair. Si Rouletabille devine des choses, il ne nous en est pas toujours fait part, et les extraits de son carnet qui nous sont parfois proposés restent très sibyllins, d'autant que pour une raison qui ne nous est pas immédiatement dévoilée, ils disparaissent assez rapidement. Mais cette opacité de la pensée sur jeune reporter loin de faire baisser l'intérêt, l'éveille au contraire de façon très efficace.
Les traits des personnages sont, apparemment à dessein, assez forcés: le dévouement aveugle et héroïque de Matrena, le caractère enjoué, amical, très « papa gâteau » selon les propres dires du narrateur, du général Trébassof, qui est malgré tout comparé plus d'une fois à Ivan le Terrible... Le parti pris de Leroux, et de Rouletabille, est celui d'une relative neutralité, l'auteur dressant des acteurs de la répression un portrait très humain ,les montrant comme accomplissant à contrecoeur le devoir dicté par leur loyauté au tsar. Ce parti pris donne lieu parfois à des choix de narration surprenants, au vu du ton badin adopté pour évoquer certains évènements des plus sanglants et des plus terribles, mis en regard de passages d'horreur pure, au style plus haché, au ton pathétique ou des moments d'apaisement frôlant le lyrisme. Un terme, un seul revient régulièrement et résume à lui seul l'attitude générale face aux évènements terribles qui se multiplient: Nitchevô (cela ne fait rien!). Tout cela nous installe dans une ambiance qui oscille entre une légèreté sciemment dérangeante et une parfaite horreur (et j'avoue avoir eu en lisant ce livre une des plus grandes frayeurs de ma vie.)
Les personnages eux mêmes (ou la plupart d'entre eux), malgré ces traits forcés nous sont réellement sympathiques: On s'attache comme Rouletabille au joyeux général Trébassof et à ses amis, en apparence tellement insouciants qu'ils n'en deviennent même pas héroïques mais simplement humains, et même humains de bonne compagnie. D'autres personnages sont réellement charismatique, telle la ténébreuse Annouchka, à la fois proprement fascinante et tout à fait inquiétante. D'autres simplement énigmatiques, à commencer par Natacha Trébassof, ou d'autres parfaitement répugnants comme le chef de la police secrète Gounsovski. Mais à aucun moment l'avantage n'est donné à un parti ou à l'autre et l'on a avant tout affaire à un drame familial, qui semble donner à Rouletabille plus de fil à retordre qu'auparavant, d'autant que la désinvolture du jeune homme vis à vis des deux partis, si elle apporte une fraîcheur certaine à l'intrigue, le place dans une situation qui finira peu à peu par se faire de plus en plus délicate.
Deux petits extraits, encore, pour finir (devant mon incapacité à me décider pour l'un ou pour l'autre, je mets les deux ^^):
« Affaire de digestion vous dis-je! Quel est le fou qui oserait comparer un jeune monsieur qui a bien digéré une bouteille de champagne ou deux, et un autre jeune monsieur qui a mal digéré les élucubrations – nous disons: élucubrations – des économistes? Les économistes? Les économistes! des fous qui se défient à qui en dira de plus fortes! Ceux qui les lisent et ne les comprennent pas s'en tirent avec une bombe! A votre santé! Nitchevô! comme dit l'autre... La Terre tourne, n'est-ce pas? »
« Ah, ces histoires de concierges et de bombes vivantes!... Ces potins, ces racontars susurrés dans ce décor de petits bourgeois de province, ces combinaisons politico-policières dont seul le côté grotesque apparaissait tandis que le côté terrible, le côté Sibérie, prison, cachots, pendaison, disparition, bagne, exil et mort et martyre, restait si jalousement caché qu'on n'en parlait jamais! Tout cela, tout cela était le comble de l'horreur entre un bon cigare et ''un petit verre d'anisette monsieur si vous ne prenez pas de champagne!'' »
RépondreSupprimerje n'ai encore jamais lu de livre de gaston Leroux ! Un jour, peut être ! Le mystère de la chambre jaune me tente bien !
RépondreSupprimerHa, Leroux est un de mes auteurs préférés, je ne peux que le conseiller ^^. La série des Rouletabille est tout simplement géniale de bout en bout.
RépondreSupprimerBonjour,
il y aura un débat consacré à Rouletabille à Paris le 17 novembre, au Salon des séries, avec Philippe Ogouz et Isabelle Casta.