vendredi 2 septembre 2011

Soie - Alessandro Baricco



Vers 1860, pour sauver les élevages de vers à soie contaminés par une épidémie, Hervé Joncour entreprend quatre expéditions au Japon pour acheter des oeufs sains. Entre les monts du Vivarais et le Japon, c'est le choc de deux mondes , une histoire d'amour et de guerre, une alchimie merveilleuse qui tisse le roman de fils impalpables. Des voyages longs et dangereux, des amours impossibles qui se poursuivent sans jamais avoir commencé, des personnages de désirs et de passions, le velours d'une voix, la sacralisation d'un tissus magnifique et sensuel, et la lenteur, la lenteur des saisons et du temps immuable.

J'ai mis beaucoup de temps à donner un avis sur ce livre, que j'ai lu assez rapidement il y a quelques semaines, d'abord parce que je n'ai pas vraiment l'habitude de la littérature contemporaine, et ensuite parce que même s'il est très court, je l'ai trouvé très beau, magnifiquement écrit, plein de poésie et de charme.

On a ici affaire à une narration légère, intangible, qui crée une certaine distance avec l'histoire et les personnages, une étrange absence d'émotion dans l'écriture alors que paradoxalement elle est le récit de la naissance d'un émoi. Cela nous donne l'impression d'être simples spectateurs du récit, d'assister à la vie d'Hervé tout comme il le fait lui-même. Cette narration distanciée nous raconte donc en filigrane le déchirement d'un amour informulé, léger, fin comme un fil de soie.

L'écriture a parfois presque la qualité d'un poème en prose, une écriture presque chantante avec parfois la répétition de certains passages parfois assez longs, qui participent de cette impression d'absence d'émotion. Certaines phrase ou certains paragraphes reviennent ainsi régulièrement, comme une litanie, qui tourne, parfois avec d'infimes variations, et en même temps transporte, puisque quelques-uns de ces passages le voyage de Hervé jusqu'au Japon, puis son retour, répétés trois ou quatre fois presque à l'identique, malgré leur apparente trivialité m'ont paru très poétiques et joliment rythmés.

Cette distance se fait sentir aussi au niveau des personnages, sur lesquels on n'apprend finalement que peu de choses, en tout cas directement. Les sentiments, y compris l'amour qui naît entre Hervé et l'inconnue sont plus suggérés par touches que véritablement explicités. On peut noter une opposition discrète entre la belle inconnue du Japon, celle dont on n'apprend jamais le nom, dont on n'entend jamais la voix, et Hélène, l'épouse d'Hervé, et l'accent qui est mis sur sa voix, comme une manière de la rendre plus tangible que la femme du Japon.

Bref, un roman très court, tout en légèreté et en poésie, mais qui mérite une relecture, plus attentive, pour saisir toutes les subtilités de l'écriture d'Alessandro Baricco. En tout cas une très belle découverte, qui me donne envie de poursuivre avec d'autres oeuvres de cet auteur.
Extrait:

« Hervé Joncour partit pour le Japon aux premiers jours d'octobre. Il passa la frontière près de Metz, traversa le Wurtemberg et la Bavière, pénétra en Autriche, atteignit par le train Vienne puis Budapest et poursuivit jusqu'à Kiev. Il parcourut à cheval deux mille kilomètres de steppes russes, franchit les monts Oural, entra en Sibérie, voyagea pendant quarante jours avant d'atteindre le lac Baïkal, que les gens de l'endroit appelaient: le dernier. Il redescendit le cours du fleuve Amour, longeant la frontière chinoise jusqu'à l'Océan, et quand il fut à l'Océan, resta onze jours dans le port de Sabirk, en attendant qu'un navire de contrebandiers hollandais l'amène à Capo Teraya, sur la côte ouest du Japon. Ce qu'il trouva, ce fut un pays plongé dans l'attente désordonnée d'une guerre qui n'arrivait pas à éclater. »

Un livre lu dans le cadre du Challenge Marmotte


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