dimanche 8 juillet 2012

Jonathan Strange & Mr Norrell - Susanna Clarke

1806. Depuis des siècles, la pratique de la magie s'est perdue en Angleterre. Du moins, jusqu'à ce que Mr Norrell, un magicien renfermé et solitaire, ne décide de rétablir la magie, et ne se mette en tête de la mettre au service de l'effort de guerre contre la France. Rapidement, Norrell devient le seul magicien d'Angleterre à réellement pratiquer la magie, et craint plus que tout la concurrence d'un autre magicien. Mais un jour, Jonathan Strange devient son élève, et il apparaît rapidement que la vision des deux hommes de ce que doit être la magie anglaise diffère. De maître et élève, Strange et Norrell deviennent rivaux, chacun des deux bien décidé à imposer sa conception de la magie au reste de l'Angleterre.

J'ai mis pas mal de temps à sortir ce livre de ma PAL, étant donné l'épaisseur de la brique en question, et il y serait sans doute resté encore longtemps s'il ne m'avait pas été proposé par Marmotte pour le challenge « Livra'deux pour PAL'addict ». D'autant qu'en lisant d'autres critiques, j'avais peur d'avoir du mal à entrer dans le livre et de m'ennuyer à la lecture... quelle erreur! J'ai été happée dès le début dans l'atmosphère très « british » de ce roman, et cette bonne impression n'a fait que se confirmer au fil des pages. Finalement, ce livre que j'entamais avec un peu d'appréhension s'est avéré un véritable coup de cœur!

D'abord à cause de l'écriture de Susanna Clarke et le ton très ironique qui sous-tend tout le roman. Aussi bien le texte que les notes de bas de page qui ajoutent parfois une touche d'humour au récit lui-même. J'adore ce genre d'humour très pince-sans-rire, qui ajoute un peu de légèreté à un texte pourtant assez dense, tout comme parfois de petites interventions du narrateur ou des adresses au lecteur, peu fréquentes mais néanmoins présentes. Le style est par ailleurs assez riche et détaillé sans être pour autant lourd ou ennuyeux.

J'ai adoré également le contexte dans lequel se passe le roman, entre le Yorkshire et Londres, en passant par l'Espagne et jusqu'en Italie, au tout début du XIXe siècle, en grande partie pendant les guerres napoléoniennes. L'intrigue et l'histoire de la magie anglaise se mêlent sans accroc à la réalité historique, et les personnages fictifs croisent le chemin d'autres personnalités qui sont elles connues de tous, comme le duc de Wellington ou Lord Byron, et parfois prennent part à des événements d'importance, comme la bataille de Waterloo. Cela confère à tout le récit une ambiance particulière, à mi-chemin entre fiction et réalité, et cette atmosphère rend d'autant plus étrange et merveilleuse la magie pratiquée par Strange et Norrell.

J'ai trouvé admirable la manière dont Susanna Clarle parvenait à créer toute une mythologie, une bibliographie vaste, une véritable « épistémologie » de la magie anglaise tout en n'en révélant que très peu sur la manière dont cette magie fonctionne réellement. Du début à la fin, la manière dont elle est exécutée, mais aussi ses limites demeurent assez floues, même si certaines choses sont révélées progressivement au court du récit. Son fonctionnement obscur en fait une chose mystérieuse qui s'avère parfois particulièrement effrayante, et il m'est arrivé de frissonner à certains moments où justement, il était difficile de savoir ce que la magie allait engendrer.

Une incertitude qui vient peut-être du fait que le point culminant de l'intrigue porte sur l'opposition entre Jonathan Strange et Mr Norrell, et leurs deux conceptions différentes de ce que doit être la magie, qui peut la pratiquer et sur quelles bases, deux conceptions opposées pour deux hommes de tempéraments très différents, entre Strange, toujours désireux de repousser les limites de la magie et de ses connaissances, ouvert d'esprit et enthousiaste et Norrell, prudent au point d'en être pusillanime, secret au point de devenir égoïste. La première partie de l'ouvrage est surtout centrée sur le personnage de Norrell qui nous paraît au premier abord rien moins que sympathique, étroit d'esprit, imbu de sa personne, mais aussi extrêmement manipulable. C'est au contact de Strange que Norrell dévoile les facettes les plus touchantes de sa personnalité, même s'il fait également appel à sa partie la plus vindicative. Si j'ai sur d'autres personnages une opinion plus tranchée, Norrell fait partie de ces personnages qu'il est impossible de vraiment aimer, mais aussi impossible de vraiment détester.

Les autres personnages ne manquent pas d'ambiguïté, souvent d'ailleurs parce que, même si l'on les côtoie du début à la fin du récit, on en apprend finalement assez peu sur eux et sur leur passé. C'est le cas par exemple du personnage qui a mon petit coup de cœur: Childermass, le domestique de Norrell, qui d'une façon ou d'une autre outrepasse largement ses fonctions de domestique, dont on ignore comment et pourquoi il est arrivé au service de Norrel, ce qu'il a fait exactement avant de rejoindre le vieux magicien (malgré quelques indices distillés tout au long du livre), quelles sont exactement ses motivations, et même parfois pour qui il travaille réellement. Tout en restant fidèle à Norrell, il donne néanmoins très souvent l'impression de n'avoir d'autre maître que lui-même. Une ambiguïté que j'ai trouvé intéressante chez ce personnage déjà très mystérieux.

Stephen Black m'a également beaucoup plu même si ses actions tout au long du livre sont plus limitées. Il est surtout intéressant dans ses interactions avec l'un des habitants de Faërie, le « gentleman with thistle-down hair » (je n'ai aucune idée de la manière dont cela a été traduit) qui apparaît tout au long du récit, un autre personnage difficile à aimer ou à détester, car il est tellement plein de mépris à l'égard de l'espèce humaine, tellement imbu de lui-même qu'il est difficile de le trouver sympathique, et en même temps, il fait preuve d'une telle obsession et d'une telle naïveté au sujet de certaines choses qu'il est malgré tout certain de bien faire et d'être dans son bon droit. Même si l'on est tenté de le juger et d'attendre de lui des réactions humaines, on comprend très vite qu'il n'agit pas du tout selon les mêmes principes, et cela le rend parfaitement imprévisible, voire même dangereux.

La frontière entre le monde magique et le monde réel est un thème qui revient tout au long du récit, accentuant encore plus l'aspect merveilleux, mais aussi inquiétant du roman. La magie est loin d'être quelque chose de familier et de maîtrisé. Elle est au contraire en grande partie oubliée, sauvage, et les deux magiciens qui tentent de la ramener en Angleterre ne connaissent pas toutes ses implications, et semblent avancer malgré tous leurs livres, en aveugle sur un terrain instable. Cette limite floue entre Faërie, le monde des fées, et le monde réel s'incarne parfaitement dans le personnage du Roi-Corbeau, un personnage au cœur de toute les légendes et les prophéties concernant la magie anglaise, à la fois roi dans les deux mondes, humain élevé par les fées, un personnage dont on ne sait pas très bien s'il est réel ou s'il est une légende mais dont le spectre plane sur tout le roman, et se trouve au centre de toutes les grandes questions autour de la magie.

Finalement, l'action de ce roman peut sembler très longue essentiellement parce que s'y déroulent plusieurs intrigues en parallèle, certaines dont on ne voit pas immédiatement l'utilité jusqu'à ce que toutes les pièces du puzzle se mettent en place, et il faut un certain temps avant de trouver le fil de l'intrigue. Néanmoins, même s'il ne s'agit pas malgré tout d'un roman d'aventure (on y parle essentiellement de politique, d'étude, de dissimulation, de complots, de combats d'idées en quelques sortes) il n'y a pas de temps mort dans l'enchaînement des événements. J'ai trouvé très difficile de poser le livre une fois plongée dedans, même à la lecture des notes de bas de page qui sont certes très longues, mais relatent toujours des anecdotes passionnantes sur l'histoire de la magie et le Roi-Corbeau. On ressent nettement une accélération du rythme dans les 200 dernières pages du roman, mais cela ne rend pas les 800 premières moins intéressantes. Personnellement, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde!

Bref, c'est un coup de cœur pour moi, d'autant plus que certains avis m'avaient presque découragée de lire ce livre et que j'avais peur de m'ennuyer à mourir à la lecture. Autant dire que j'ai eu une excellente surprise, avec le style de Susanna Clarke que j'ai trouvé très plaisant et plein d'humour, avec l'ambiance à la fois très « british » au ton très flegmatique et en même temps parfois inquiétante voire effrayante, les personnages, auxquels, malgré le peu de choses qui nous en est dit, je me suis vraiment attachée, même ceux qui m'ont parfois paru antipathiques, l'histoire enfin qui est riche, originale, longue mais sans temps mort, immersive, et très bien menée du début à la fin. J'ai encore un peu de mal à sortir de l'atmosphère de ce roman que j'ai vraiment beaucoup beaucoup aimé, et je vais essayer de me procurer The Ladies of Grace-Adieu dès que possible pour replonger dans l'univers de Susanna Clarke.

Livre lu dans le cadre du challenge Livra'deux pour PAL'addict

premier livre lu pour le challenge des Pavés sur la Plage

Et Susanna Clarke vient remplacer Glen Cook dans mon challenge ABC - Littératures de l'Imaginaire.

2 commentaires:

  1. Bizarre, j'ai l'impression que nous ne sommes pas beaucoup à avoir apprécié ce livre :s C'est szur, si les gens s'attendaient à de la magie comme Harry Potter c'est râté! Et s'ils espéraient des grandes batailles comme dans Tolkien, c'est râté aussi! Mais comem tu le dis, l'humour, les notes, les personnages sont très prenants! Long mais superbe!

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    1. Il n'y a pas tant de grandes batailles que ça dans Tolkien, il ne faut pas se fier seulement à ce qu'il y a dans les films ;). Mais c'est vrai qu'il vaut mieux ne pas lire ce livre en pensant trouver un récit d'aventure, on risque d'être très déçu ^^!En revanche, quand on apprécie l'ambiance british et l'humour piquant, c'est parfait :D!

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