dimanche 9 octobre 2011

Je suis ta Nuit - Loïc Le Borgne



Désemparé par la tragédie qui frappe son fils, dont la meilleure amie vient de se suicider, Pierre, le narrateur, décide de lui écrire l'histoire de la tragédie qui l'a lui même frappé des années plus tôt, alors qu'il n'avait que onze ans. Durant l'été 1980, alors que lui et ses copains jouent à casser des bouteilles, ils découvrent un cadavre mutilé, marquant le premier d'une série d'évènements terrifiants ou macabres qui vont frapper le village, et semblent liés d'une façon ou d'une autre à cette bande d'amis.

Voilà un livre que je n'aurais certainement jamais eu l'idée de lire s'il ne m'avait pas sauté dans les mains dans le rayon jeunesse de la BU, pendant une pause. Et c'eût été un tort, car j'ai été happée immédiatement dans l'histoire, je l'ai dévoré, et j'en suis ressortie toute retournée. Malgré une atmosphère très dérangeante, voire malsaine, je pense pouvoir dire que ce livre est un coup de coeur.

Ce qui a tout d'abord éveillé ma curiosité est l'intrigue à double niveau qui s'installe dès les premières pages, celle du père qui jette un regard rétrospectif sur les évènements de son enfance, et celle qui se joue entre le père et son fils, l'histoire énigmatique du suicide de l'adolescente, le mystère qui plane autour de la mort de l'épouse du narrateur.

L'auteur sait ménager son suspense, grâce à une méthode qui peut paraître malgré tout redondante car le narrateur adulte commente et analyse rétrospectivement des évènements de son enfance, donc nous donne par avance des avertissements qui créent une tension. On a de plus une alternance entre des moments de suspense haletant et des moments plus sereins que l'on pourrait appeler le calme avant la tempête. Mais malgré ce schéma récurrent, l'efficacité du procédé reste la même. Alors que l'on croit justement le calme revenu, un avertissement du narrateur nous replonge dans une atmosphère de doute et d'appréhension.

J'ai aussi beaucoup apprécié la manière dont le rôle de l'imagination était exploité au cours de l'intrigue, dont la croyance et la foi en leur imaginaire donne une vraie force aux personnages. D'autant que les références faites sont des choses que l'on connaît, qui créent une résonance dans l'imaginaire du lecteur (Star Wars, Goldorak ou d'autres références, musicales ou cinématographiques.) L'inconvénient est que si l'on n'est pas familier des références de cette génération, elles peuvent vite devenir lourdes, car elles sont en permanence sollicitées et pas toujours explicitées. Mais quand ce sont des choses que l'on connaît et que l'on apprécie également, on se sent intégré dans cette bande d'amis et on se sent donc d'autant plus concerné par leur sort.

Le problème est surtout que la fin ne répond pas à toutes les questions du lecteur. On a vraiment l'impression au début d'une double intrigue qui se met en place, celle du père qui raconte, celle du fils à qui est destiné le récit, certaines allusions laissent entendre que les deux niveaux de narration sont destinés à se rejoindre, mais le récit se conclut simplement sur la fin de l'histoire de l'enfance du narrateur. Cela peut être perçu comme un manque, mais peut-être que cela laisse aussi au lecteur le loisir de reconstruire lui-même les liens entre l'histoire du père et du fils. Cela crée un doute qui est à la fois frustrant et en même temps laisse une fin relativement ouverte, et certaines questions en suspens.

Il y a également un côté dérangeant, voire franchement horrible, mais toujours traité avec une certaine finesse, notamment sur certains aspects assez sensibles (particulièrement la fin). Le texte a une certaine puissance évocatrice dont l'horreur est filtrée par l'appel à l'imagination de l'enfant. L'horreur nous frappe en même temps que le jeune garçon, et cet aspect du texte lui donne une certaine force.

Bref, malgré le traumatisme subi par ma petite âme sensible, j'ai dévoré ce livre, j'ai trouvé que l'écriture était assez bien maîtrisée, même si vers la fin j'ai trouvé que tout se précipitait et que beaucoup de choses étaient laissées en suspens. En tout cas ce livre ne laisse pas indifférent, et j'ai été conquise par cet aspect angoissant et terrifiant qui n'est pourtant pas tellement ma tasse de thé d'ordinaire ^^. J'ai déjà repéré à la BU d'autres ouvrages de cet auteur et je vais tâcher de les lire pour voir si ce bilan positif se confirme!

Une petite citation:
"Nous ne vivions pas au Moyen-Age, cependant: il y avait déjà quelques jeux vidéo, la télé couleur faisait son apparition dans les foyers et les premiers synthés dans les chansons. Et surtout il y avait nos dieux:  le jedi  Luke Skywalker, héros chevaleresque de la Guerre des Etoiles, et le prince Actarus, pilote de Goldorak, le plus balèze de tous les robots qui aient jamais peuplé la galaxie.
  Luke Skywalker et Actarus étaient nos saints patrons, le sabre laser et le fulguropoing, nos Excalibur. Nous sommes et resterons à jamais les enfants de ces héros intersidéraux. Nous connaissons toujours les refrains de génériques, nous les chantons entre amis à la fin d'une soirée bien arrosée, en rigolant comme des tordus mais avec ce pincement au coeur qui signifie deux choses: un, que le temps a passé et que ça ne fera qu'empirer, et deux, qu'il ne passera jamais assez pour tout effacer."

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