Dans une France ou tous les acquis de la révolution ont été perdus avec la chute du gouvernement Gambetta, la société est divisée entre nobles et travailleurs, les « cous noirs », et l'éducation n'est réservée qu'à l'élite. Certains cous noirs cherchent tout de même à s'instruire pensant que cela pourrait améliorer leur condition. C'est le cas de Jean, dont la vie tourne au chaos lorsqu'il est arrêté pour avoir suivi des cours clandestins. Il va faire la connaissance de Clara, une jeune noble qui va peu à peu ouvrir les yeux sur la condition des démunis.
Voilà une uchronie très sympathique et bien menée, qui m'a permis de découvrir la plume de Pierre Bordage. Si quelques détails m'ont un peu chagrinée à la lecture, j'ai néanmoins été rapidement happée par l'univers de cette France alternative, et j'ai été curieuse tout au long du livre de connaître le sort de Jean et Clara.
Car, bien qu'ils soient de condition différentes, tous deux se trouvent confrontés à un monde dont les règles sont étouffantes, et d'une rigueur archaïque. Le récit se passe en 2008, mais tout nous renvoie à un contexte d'ancien régime, comme si le pays avait quasiment cessé d'évoluer avec la Restauration (une évolution historique dont les détails sont d'ailleurs distillés peu à peu au cours du récit, afin de comprendre comment on en est arrivé là, sans s'infliger un pavé de rappels historiques réels ou fictifs en début d'ouvrage). Certes, les nobles disposent de l'électricité, de voitures, du R2I (une sorte de version alternative d'Internet), mais dans l'ensemble, le progrès est freiné, le temps est comme figé, et il est parfois difficile de se rappeler que l'histoire est bien censée se passer au XXIe siècle.
Par certains aspects, ce livre m'a rappelé Incarceron, que j'ai lu cet été. Jean et Clara appartiennent tous deux à des milieux différents, mais tous deux ont le sentiment d'être prisonniers de leur condition, et cherchent à en réchapper, contre toutes les règles. Cette sensation de temps figé, d'un progrès seulement réservé à la noblesse, mais tout de même largement bridé, d'un monde réglé dans ses moindres détails, et aliénant, y compris pour les élites... ce sont des choses qui m'avaient déjà frappée dans Incarceron, et que j'ai retrouvé dans une certains mesure, dans Ceux qui sauront
Les personnages sont assez attachants, et l'on suit avec intérêt surtout l'évolution des deux principaux, Jean et Clara. Clara, particulièrement, est au début un peu agaçante, notamment parce qu'elle est inconsciente de l'injustice qui est à l'oeuvre dans le pays, tandis que le lecteur a déjà eu l'occasion de voir quelles étaient les conditions de vie et de travail des cous noirs. Il est intéressant de la voir peu à peu, et de manière brutale, prendre conscience de ce qui se passe réellement, et réaliser qu'elle vit depuis toujours dans une cage dorée. De la même façon, il est révoltant de voir quel est le sort réservé aux ouvriers dès qu'ils essayent de s'instruire, ou même simplement lorsqu'ils osent revendiquer des droits fondamentaux.
Le parallèle entre les deux personnages est d'ailleurs assez intéressant, car même si l'on peut penser que les élites sont privilégiées, il s'avère qu'elles ne sont pas moins soumises à des contraintes sociales fortes, et pour Jean comme pour Clara, chercher à sortir de sa condition se paie chèrement. On angoisse avec Jean pendant toute une partie du livre, à l'idée que quelqu'un puisse découvrir qu'il sait lire et écrire, et également avec Clara qui cherche à contourner les filtres du R2I pour en apprendre plus sur le monde.
Cette société figée, et hautement surveillée pour s'assurer que tout reste bien à sa place, peut donc devenir le théâtre de règlements de comptes violents, d'exécutions sommaires révoltantes, ou encore de crimes suscités par l'intolérance. Cet univers alternatif imaginé par Bordage peut s'avérer très dur, et malgré tout renvoie en filigrane à des problèmes de société bien actuels. Le fait de se situer en France, même si elle est uchronique, rend d'une certaine manière le récit très proche de nous et d'autant plus frappant.
Finalement, le seul petit reproche que je pourrais faire à ce livre, est qu'il est relativement court. Il s'y passe beaucoup de choses et on y trouve assez peu de temps morts, mais certains revirements de personnages sont assez soudains, et certains événements gagneraient à être mieux amenés. La fin est également assez abrupte, et ne résout pas grand chose... mais elle annonce des développements qui seront sûrement intéressants pour la suite. D'autant plus que la tension est à son comble dans les derniers chapitres, et que l'on tourne ces pages avec la gorge serrée.
Bref, une découverte très sympathique pour un premier Bordage. J'ai pu mettre la main sur la suite que je lirai sans doute prochainement, et cela me donne bien envie de poursuivre avec d'autres livres de cet auteur!
Car, bien qu'ils soient de condition différentes, tous deux se trouvent confrontés à un monde dont les règles sont étouffantes, et d'une rigueur archaïque. Le récit se passe en 2008, mais tout nous renvoie à un contexte d'ancien régime, comme si le pays avait quasiment cessé d'évoluer avec la Restauration (une évolution historique dont les détails sont d'ailleurs distillés peu à peu au cours du récit, afin de comprendre comment on en est arrivé là, sans s'infliger un pavé de rappels historiques réels ou fictifs en début d'ouvrage). Certes, les nobles disposent de l'électricité, de voitures, du R2I (une sorte de version alternative d'Internet), mais dans l'ensemble, le progrès est freiné, le temps est comme figé, et il est parfois difficile de se rappeler que l'histoire est bien censée se passer au XXIe siècle.
Par certains aspects, ce livre m'a rappelé Incarceron, que j'ai lu cet été. Jean et Clara appartiennent tous deux à des milieux différents, mais tous deux ont le sentiment d'être prisonniers de leur condition, et cherchent à en réchapper, contre toutes les règles. Cette sensation de temps figé, d'un progrès seulement réservé à la noblesse, mais tout de même largement bridé, d'un monde réglé dans ses moindres détails, et aliénant, y compris pour les élites... ce sont des choses qui m'avaient déjà frappée dans Incarceron, et que j'ai retrouvé dans une certains mesure, dans Ceux qui sauront
Les personnages sont assez attachants, et l'on suit avec intérêt surtout l'évolution des deux principaux, Jean et Clara. Clara, particulièrement, est au début un peu agaçante, notamment parce qu'elle est inconsciente de l'injustice qui est à l'oeuvre dans le pays, tandis que le lecteur a déjà eu l'occasion de voir quelles étaient les conditions de vie et de travail des cous noirs. Il est intéressant de la voir peu à peu, et de manière brutale, prendre conscience de ce qui se passe réellement, et réaliser qu'elle vit depuis toujours dans une cage dorée. De la même façon, il est révoltant de voir quel est le sort réservé aux ouvriers dès qu'ils essayent de s'instruire, ou même simplement lorsqu'ils osent revendiquer des droits fondamentaux.
Le parallèle entre les deux personnages est d'ailleurs assez intéressant, car même si l'on peut penser que les élites sont privilégiées, il s'avère qu'elles ne sont pas moins soumises à des contraintes sociales fortes, et pour Jean comme pour Clara, chercher à sortir de sa condition se paie chèrement. On angoisse avec Jean pendant toute une partie du livre, à l'idée que quelqu'un puisse découvrir qu'il sait lire et écrire, et également avec Clara qui cherche à contourner les filtres du R2I pour en apprendre plus sur le monde.
Cette société figée, et hautement surveillée pour s'assurer que tout reste bien à sa place, peut donc devenir le théâtre de règlements de comptes violents, d'exécutions sommaires révoltantes, ou encore de crimes suscités par l'intolérance. Cet univers alternatif imaginé par Bordage peut s'avérer très dur, et malgré tout renvoie en filigrane à des problèmes de société bien actuels. Le fait de se situer en France, même si elle est uchronique, rend d'une certaine manière le récit très proche de nous et d'autant plus frappant.
Finalement, le seul petit reproche que je pourrais faire à ce livre, est qu'il est relativement court. Il s'y passe beaucoup de choses et on y trouve assez peu de temps morts, mais certains revirements de personnages sont assez soudains, et certains événements gagneraient à être mieux amenés. La fin est également assez abrupte, et ne résout pas grand chose... mais elle annonce des développements qui seront sûrement intéressants pour la suite. D'autant plus que la tension est à son comble dans les derniers chapitres, et que l'on tourne ces pages avec la gorge serrée.
Bref, une découverte très sympathique pour un premier Bordage. J'ai pu mettre la main sur la suite que je lirai sans doute prochainement, et cela me donne bien envie de poursuivre avec d'autres livres de cet auteur!
11e livre lu dans le cadre du challenge ABC - Littératures de l'Imaginaire
et le premier pour le challenge saisonnier "Des boulons sous le sapin"
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