vendredi 28 novembre 2014

Les Extraordinaires et Fantastiques Enquêtes de Sylvo Sylvain, Détective Privé, tome 1 : Rue Farfadet - Raphaël Albert


Panam, 1888. Une ville où se côtoient dans une harmonie toute relative humains, nains, ondines, mages, gobelins et créatures magiques de tout poil. Parmi eux, Sylvo Sylvain, un elfe renégat qui, accompagné de son ami Pixel, exerce la profession peu glorieuse, et surtout peu rémunératrice, de détective privé. Désargenté et désenchanté, l'elfe va malgré tout se retrouver mêlé, des suites d'une enquêtes à première vue banale, à une sombre affaire de terrorisme magique. Bien malgré lui, pour en sortir indemne, il va lui falloir percer à jour des machinations qui menacent les plus haut sphères du pouvoir de Panam.

Quelle découverte que les Enquêtes de Sylvo Sylvain! Autant le dire tout de suite, le voilà, mon coup de foudre de 2014! Quand, dans mon bilan de 2013, je me lamentais en espérant que j'aurais droit cette année à du coup de coeur, de l'émotion, des livres qui me tiendraient scotchée toute la nuit et dont j'aurais envie de crier au monde entier combien ils sont formidable, c'est de cela que je parlais, ladies and gentlemen! A la limite, je pourrais même arrêter là ma chronique, je pense que mon enthousiasme parle de lui même...

... bon je vais peut-être développer un peu, quand même. Et il y a de quoi, car rien n'est à jeter, dans le premier tome des aventures de ce cher Sylvo et de son inséparable acolyte Pixel. A commencer par l'écriture de Raphaël Albert elle-même. Il a un style vif, piquant et bien tourné, tout en élégance, sans jamais perdre de sa fluidité. Le choix de narration à la première personne, à travers les yeux de Sylvo lui-même, nous rend immédiatement le personnage sympathique, et l'auteur nous fait passer avec lui par toute une palette d'émotions avec une formidable acuité, sans jamais tomber dans le pathos facile ou le sentimentalisme dégoulinant.

Le personnage de Sylvo est sans doute la principale raison de mon coup de coeur (pas la seule évidemment, mais il y joue tout de même un rôle certain). Sylvo est un anti-héros. Clairement, il n'est pas le chevalier sans peur et sans reproche qui volera au secours de la veuve et de l'orphelin. En dépit de son cynisme désabusé, il vivote tant bien que mal dans une ville qui, sans lui être ouvertement hostile, n'est pas non plus franchement bienveillante. Torturé par un passé dont on ne sait pratiquement rien (et dont on ne saura pratiquement rien jusqu'au bout), sa façon de fuir, sans regarder derrière lui, sa nostalgie de la forêt qui l'assaille aux moments les plus inopportuns, et même sa façon de chercher l'oubli dans l'alcool rendent le personnage particulièrement touchant, voire parfois déchirant. Principalement parce que derrière son côté désenchanté, il n'est pas un mauvais garçon et il se révèle même un personnage extrêmement sensible, au fond.

le duo formé par Sylvo et Pixel est très intéressant, même si Pixel apparaît finalement moins qu'on pourrait le penser dans ce tome (bien que son rôle soit tout à fait décisif, attention! Mais certaines raisons font qu'il est un peu compliqué pour notre pillywiggin d'intervenir directement dans les événements). Malgré le fait que les deux personnages semblent se chamailler en permanence, et malgré le passé assez lourd qu'ils partagent, leur évidente complicité rend leur tandem très attachant, et ils forment une équipe plutôt efficace, au milieu des périls de Panam.

L'intrigue démarre sur une affaire en apparence tout à fait ordinaire et privée, qui va mener Sylvo et Pixel (mais surtout Sylvo) en terrain dangereux. On ne peut pas dire que tout soit inattendu, et pendant une partie du roman, on suit notre elfe dans une enquête somme toute assez routinière, des rituels relativement quotidiens, qui nous immergent petit à petit dans le rythme de Panam. Mais dans l'ensemble, la tension est tout de même assez soutenue, car on se doute dès le départ qu'il y a bien plus qu'il n'y paraît derrière cette investigation banale, et que tout cela est lié à une affaire qui menace Panam tout entier (car la ville et ses dynamiques sociales et politiques forment quasiment un personnage à part entière dans cette saga). Bref, on n'a jamais le temps de s'ennuyer, entre Sylvo qui tâche tant bien que mal de boucler son enquête et se faire payer, ses créanciers qui lui courent après, l'engrenage plus large dans lequel il a bien involontairement mis le pied et qui l'entraîne malgré lui... le contraste entre le rythme, l'humour de surface et la mélancolie d'arrière plan en est d'autant plus frappant.

Car on a sans arrêt ce balancement, comme si l'on se tenait en équilibre entre la comédie et le drame. Le roman en lui-même est loin d'être triste. Si peu à peu le récit se fait de plus en plus dramatique, au fur et à mesure que Sylvo met au jour de sombres secrets, il est malgré tout parsemé de touches d'humour, que ce soit par l'incongruité de certaines situations, certaines tournures de phrases particulièrement vivantes, ou tout simplement les différentes éléments qui caractérisent le Panam de Raphaël Albert. Les noms des rues eux-mêmes sont de petites blagues sans en avoir l'air. Même sans être spécialiste de Paris, tout le monde sait à quoi font référence Le Bois des Vingt Reines, le boulevard Ossements, Mygale, L'Ancêtre-Gremlin ou la Butte Momie, et ce petit décalage fait sourire (j'ai bien passé vingt minutes avant de commencer ma lecture à détailler la carte de Panam et à m'amuser de toutes les trouvailles de l'auteur.)

Même des choses aussi simples que les jours de la semaine (undi, gradi, maigredi...) ou les mois de l'année (gravier, ouvrier, quartz, argile...) sont à mi-chemin entre les deux mondes, et c'est un moyen très efficace de faire entrer de plain-pied le lecteur dans un univers à la fois si semblable au nôtre et si différent. Sans compter les références culturelles et littéraires qui foisonnent (à Panam, on peut croiser le chat de la Mère Michel ou la petite marchande d'allumettes, et se promener sur le boulevard de Melniboné, tout en dégustant un Baggins Burger. Oui, parfaitement). Raphaël Albert brouille les repères sans pour autant les gommer totalement. Comme si l'on passait, par un simple pas de côté, dans un univers alternatif presque superposé au nôtre. C'est sans doute ce flottement qui fait que l'on se sent presque chez soi dans cette cité imaginaire, et qui m'a aussi particulièrement charmée.

Malgré tout, même s'il n'est pas à proprement parler démoralisant, le roman ne devient jamais franchement joyeux non plus. En dépit des nombreuses touches d'humour, le ton reste tout de même assez cynique et désenchanté. Le passé de Sylvo, sur lequel on n'apprend quasiment rien, hante l'ensemble du roman, laissant en arrière plan un goût de spleen qui donne à tout le récit une saveur douce-amère. Les allusions de Sylvo à Toujours-Verte, à son exil, et même les choses qu'il préfère passer sous silence laissent transparaître chez le personnage une souffrance qu'il s'efforce constamment de faire taire, mais qui le rattrape immanquablement. C'est d'autant plus tragique qu'il y a tout de même une certaine tendresse chez le personnage, une tendresse refoulée qui le rend attachant et profondément émouvant.

Après avoir entamé une relecture (car oui, le coup de foudre est tel que, après avoir dévoré les tomes 2 et 3 de la saga, je viens de reprendre l'ensemble du début) il s'avère que l'univers de Raphaël Albert est très bien maîtrisé et l'histoire de Sylvo cohérente jusque dans les détails. Des choses lâchées au coin d'une phrase, en apparence anodines, peuvent finalement dans la suite prendre une importance capitale, ou tout simplement s'enrichir d'un tout autre sens au fur et à mesure que l'on en apprend sur le passé de Panam, ou celui de Sylvo et Pixel. Mais j'anticipe sur les tomes suivants, qui sont donc déjà lus et qui auront bien sûr droit à leur propre chronique! (je ne sais pas quand, par contre, ne nous emballons pas!)

En attendant, je ne peux que recommander vivement la lecture de ce premier tome, qui pose avec efficacité les bases de l'univers de Sylvo, et introduit efficacement ses personnages hauts en couleur, à travers la narration piquante et désabusée de l'elfe exilé dans la grande Cité. On referme ce livre avec l'envie d'en savoir plus, et de rester encore un peu à Panam avec nos héros. Ce qui m'a évidemment poussée à me jeter très rapidement sur le tome 2!

9e lecture dans le cadre du challenge ABC-Littératures de l'Imaginaire



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