dimanche 25 janvier 2015

Lolita - Vladimir Nabokov


Humbert Humbert est en prison pour meurtre. Il raconte tout ce qui l'a conduit jusqu'ici, de son enfance avec son premier amour à sa rencontre des dizaines d'années plus tard avec Dolorès Haze une "nymphette" de 12 ans. Humbert est subjugué par la jeune fille et accepte même d'épouser la mère de Dolorès pour rester près d'elle. Jusqu'au jour où la "Grosse Haze" comme la surnomme Humbert découvre la vérité et meurt accidentellement. Commence alors un long voyage en tête à tête entre Humbert et l'adolescente.

"Lolita, light of my life, fire of my loins. My sin, my soul. Lo-lee-ta: the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three, on the teeth. Lo. Lee. Ta.
She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arms she was always Lolita."

Cela commence à faire quelques années que ce livre traîne sur mon étagère du Challenge Marmotte, et quelques années que j'entame la lecture régulièrement sans dépasser la première page. Le premier paragraphe est en lui-même un petit bijou stylistique et j'avais un peu peur d'être déçue par une suite qui ne serait pas à la hauteur de ces premières lignes. Je suis enchantée de dire que cette crainte était injustifiée, et le style de Nabokov se révèle magnifique jusqu'à la fin du livre.

Le narrateur, qui se surnomme lui-même Humbert Humbert est un homme aux origines obscures, qui a vécu en France pendant plusieurs années. Au moment où s'ouvre son récit, il est emprisonné pour meurtre et adresse sa relation des événements au jury, comme une confession ou une justification. Ces différents éléments jouent un rôle important dans le ton du texte. Cela explique d'abord les multiples références littéraires et artistiques, et les nombreuses expressions françaises qui parsèment le texte anglais. Cela permet aussi de prêter une plus grande attention au rôle que jouent les différentes adresses au(x) lecteur(s) ("Reader", "Ladies and gentlemen of the jury" voire dans certains cas "gentlewomen of the jury") et de rester vigilant quant aux effets de style, aux tournures de phrases et aux choix des mots employés par Humbert pour manipuler son lecteur.

Car au delà du thème abordé et au delà des déviances du narrateur, il est étonnamment facile de se laisser charmer par Humbert Humbert, d'éprouver de la sympathie et même parfois de la pitié pour lui. Le style de Nabokov, très travaillé, jusqu'aux lapsus et erreurs calculées de la narration, fait que l'on se laisse entraîner dans les pensées d'Humbert, et en même temps nous oblige régulièrement à réfléchir à la lecture et à prendre une distance avec le personnage. Cela force à avoir une lecture constamment active et ce sont ces différents niveaux de lecture qui font de Lolita un livre stylistiquement fascinant.

Les personnages, en toute logique, ne nous dévoilent pas toutes leurs facettes. Le portrait que nous fait Humbert de lui-même est nécessairement subjectif et orienté pour susciter la sympathie du lecteur en dépit de ses défauts. Il en va de même pour la petite Lolita, qui reste un personnage très énigmatique, qui n'est pendant un long moment perçue qu'à travers la vision fantasmée que s'en fait le narrateur. L'onomastique me semble d'ailleurs accentuer cet effet de distance avec les personnages. Outre le nom à dessein ridicule d'Humbert Humbert qui ne cesse de prendre différentes orthographes tout au long du livre, les multiples surnoms attribués à Dolores, alias Dolly, Lo, Lola, Lolita, ne cessent de créer la confusion autour de ce personnage que l'on ne sait trop comment appeler et dont on ne sait trop quoi penser. A mon avis, le choix du nom de "Haze" pour ce personnage est loin d'être innocent, et illustre bien l'aspect brumeux et flou qui enveloppe le personnage de Lolita jusqu'à la fin du roman.

Il est par conséquent difficile d'avoir de la compassion pour Lolita pendant une bonne partie du livre, car la narration d'Humbert nous la rend étrangement distante, voire passive, voire encore manipulatrice et vulgaire et cela oblige le lecteur à traquer les indices pour essayer de deviner ce qui se cache derrière l'image biaisée qui nous est présentée. Et si, à la fin, ce personnage n'est pas totalement élucidé, j'ai malgré tout fini par la trouver touchante et tragique, à travers le peu que le narrateur nous laisse entrevoir de ses états d'âme.

En bref, j'ai trouvé cette lecture fascinante et bouleversante, en dépit de l'histoire hors normes et des déviances malsaines du narrateur qui ne manquent pas de mettre mal à l'aise. Les personnages sont rendus très complexes par les nécessités de la narration et le charme magnétique exercé par le style de Humbert Humbert oblige à sans arrêt se questionner sur sa lecture et sur ce qui est réellement dit derrière les effets de style et les symboles. Finalement j'ai vraiment beaucoup aimé ce roman percutant, dérangeant, mais malgré tout poignant et magnifiquement écrit.

Un livre lu dans le cadre du challenge Marmotte


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