dimanche 5 juin 2011

La trilogie de Gormenghast, tome 1: Titus d'Enfer - Mervyn Peake


Au château de Gormenghast vit une famille farfelue: les d'Enfer. Lord Tombal lit toute la journée. Son épouse Gertrude ne vit que pour ses chats et ses oiseaux. Leur fille Fuchsia est d'une nature sauvage et rêveuse. Autour d'eux s'agite une société hétéroclite dont le quotidien est figé dans l'exécution de rites ancestraux. La naissance d'un fils, Titus, va rompre la monotonie du château.

Pour être honnête, je serais incapable de donner un avis parfaitement tranché sur cette lecture. Ce pourrait être un coup de coeur si je savais exactement ce que j'ai ressenti en lisant ce livre, mais il me laisse tellement perplexe que je ne sais pas trop quoi en penser. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais, mais c'est loin d'être une déception. C'est riche, très bien écrit, et en même temps très déstabilisant compte tenu du style d'écriture de l'auteur, mais aussi de l'univers décrit.

Le style tout d'abord est très descriptif, très imagé, usant de multiples comparaisons et métaphores qui peuvent parfois perdre le lecteur dans un univers qui peut prendre un tour irréel, voire parfois très angoissant. Toute l'action ou presque se déroule dans le château de Gormenghast ou ses alentours, mais ce lieu prend des proportions et des formes tellement extravagantes que l'on ne peut raccrocher à rien de connu l'image que nous en donne l'auteur, et l'on y perd parfois un peu pied. Un autre aspect assez déroutant est la chronologie, qui ne respecte pas toujours l'ordre des évènements. On peut voir dans une scène les conséquences d'un événement qui ne sera relaté que quelques pages plus loin, faire un bond de plusieurs semaines en avant puis remonter quelques semaines en arrière pour retrouver un personnage, ou raconter séparément des actions simultanées...

Les personnages sont un des aspects fascinants de ce livre car ils sont parfaitement atypiques, hétéroclites, obéissant à des rites dans ce lieu si extravagant qu'il donne parfois envie de rire, mais souvent un rire jaune, teinté de malaise. Tous les personnages se distinguent par un ton, une voix particulière qui permet de les identifier à coup sûr: Craclosse qui mange systématiquement la moitié de ses propos, le rire du docteur Salprune qui ponctue chacune de ses phrases, sa soeur Irma qui répète systématiquement ses questions sans laisser le temps d'y répondre... Et quand ils n'ont pas de tics de langage, leur caractère suffit à les définir: la mélancolie de Lord Tombal, le romantisme sauvage de Fuchsia... Les personnages ont des traits forcés à l'excès, mais tellement improbables qu'ils n'en sont même pas caricaturaux, mais simplement distants, parfois figés comme des statues, ce qui empêche de s'identifier à eux. Cela n'empêche pas toujours de s'y attacher, j'avoue avoir eu de la sympathie pour Fuchsia que l'on sent mûrir petit à petit tout au long du livre ou pour le docteur Salprune, qui cache un esprit assez fin derrière une prolixité souvent assommante, voire anesthésiante. Etrangement, Titus d'Enfer, le personnage qui donne son nom au livre n'a qu'un rôle actif minime dans l'histoire, puisque l'ensemble du récit couvre un peu plus de sa première année d'existence, mais il est le déclencheur direct ou indirect de la plupart des actions qui vont craqueler le vernis bien lisse des rituels de Gormenghast.

Le seul personnage qui semble un peu moins figé que les autres est Finelame, le seul qui ne se soucie pas de briser les rituels de Gormenghast, et donc également l'un des personnages qui semblent le plus vivants dans cet univers complètement emprisonné dans une gangue de traditions vieilles de plusieurs siècles. Le personnage de Finelame est loin d'être sympathique, et même loin d'être parfaitement normal. Il est opportuniste, arriviste, calculateur, glacial, manipulateur, et pour être honnête, il apparaît assez souvent franchement antipathique. Mais il détonne dans l'univers de Gormenghast parce que c'est lui qui bouleverse les hiérarchies, cherchant à passer de simple garçon de cuisine à la fonction la plus haute possible, mettant pour cela en oeuvre les moyens les plus vils, et simplement parce qu'il est une poussière dans le mécanisme bien huilé mais absurde de Gormenghast, on finit par guetter le personnage, et s'y intéresser, sinon l'apprécier.

Cet univers, ces personnages si inattendus et imprévisibles finissent par littéralement hypnotiser. On ne sait pas trop où tout cela va nous mener, mais on ne peut s'empêcher de continuer la lecture tout de même, pour savoir ce qu'il va se passer, quels moyens Finelame va trouver pour s'intégrer à la haute société du château, la lente dégradation de l'état de Lord Tombal, la montée de la vanité et de la haine chez les jumelles Cora et Clarice, la guerre froide qui se joue entre le chef Lenflure et Craclosse... Tous ces conflits d'intérêts s'entrecroisent au milieu de cet univers figé et l'on voit s'effondrer peu à peu l'enveloppe de traditions qui finit par craquer de tous les côtés, rendant encore plus pathétique par contraste les personnages qui s'y raccrochent coûte que coûte. D'autre part, on suit également le personnage de Keda, la nourrice de Titus originaire de l'extérieur du château, un personnage qui évolue dans un monde parfaitement irréel, que j'ai eu du mal à situer dans l'ensemble du livre, mais qui je pense aura une signification plus importante dans la suite.

Bref, ce livre est une découverte très déroutante, mais finalement passionnante qui me donne envie de poursuivre avec le tome 2. Il y aurait sans doute encore beaucoup à dire sur ce premier tome, qui m'a en définitive beaucoup frappée. J'ai été découragée pendant un moment et ma lecture s'est parfois révélée fastidieuse, mais l'univers, les personnages et le récit atypique qui ressortent après coup rendent finalement le bilan plutôt positif dans l'ensemble, même s'il faut de temps en temps s'accrocher pour ne pas lâcher le livre ^^.

Treizième livre lu dans le cadre du challenge God Save the Livre.

2 commentaires:





  1. C'est vrai qu'on arrive pas trop à savoir ce que tu en as pensé, mais ça me donne tout de même une bonne impression globale. L'histoire m'a l'air intéressante, mais c'est rare que tu mettes

    autant de temps à lire un livre, d'habitude tu les dévores!






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  2. Disons que ce livre m'a surtout bousculée par rapport à ce que j'ai l'habitude de lire, surtout en fantasy, et globalement, il faut quand même s'accrocher un peu pour adhérer au style et à

    l'histoire, on ne sait pas toujours trop bien où ça va nous mener ^^. Mais d'un autre côté c'est tellement surprenant qu'on a quand même envie de savoir ce que l'auteur nous a préparé. Et j'ai

    beaucoup aimé le style d'écriture, ça c'est sûr ^^. Enfin, c'est vrai que j'y ai mis du temps, mais c'est tellement dense que je pense que ç'aurait été un peu indigeste si je l'avais lu d'une

    traite, alors que mes impressions globales ne sont finalement pas mauvaise ^^.






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